Un jour d’automne 1994…

C’était un jour d’automne 1994. Je ne sais même pas s’il a existé ou si j’en ai rêvé, mais quel importance pour le cœur meurtri que j’avais? Est-ce ma douleur qui se souvient ?

C’était un jour d’automne. Et arbres s’y perdaient dans leur beauté.  Le jour ultime. Le jour où les feuilles sont le plus belles et le plus colorées. Le jour où les paysages vous enivrent. Le jour d’avant le jour du vent. Pas le vent qui va souffler simplement. Le Vent.

Celui qui va souffler, et faire tomber toutes les feuilles. Le jour d’avant la perdition. Le jour où il n’était pas encore trop tard, mais tout était déjà joué.

Ce jour d’avant le jour où elles allaient flancher sur les arbres.

Ce jour-là, mon cœur était beau comme les feuilles. Mon cœur était inspiré. Mon coeur était triste. Mais triste. Il paraît qu’il avait survécu. Il avait la couleur d’un arc-en-ciel. Il avait mille couleurs sur lui, qui se confondaient au milles collines et aux mille douleurs. Il était aussi fragile que les feuilles du jour d’avant le vent. Un seul coup de vent et tout tombait. Au fond peut-être qu’il n’attendait que cela. A force de lutter. Rien n’était encore fait, mais tout était déjà prêt.

Ce jour-là, il fallait aller se coucher. Personne ne savait, sauf peut-être ceux qui avaient déja contemplé l’automne, que quelque chose allait arriver. Personne ne connaissait le jour du vent. Tout le monde se laissait aller au gré de la saison et était indifférent que le jour du vent soit la veille ou le lendemain, ou même jamais. Moi je ne contemplais rien et je ne laissais rien aller. J’étais juste là, et pas tant que cela.

Pendant le sommeil, le vent souffla. Sans que je ne le sache. Pourquoi ce genre de choses se passe toujours la nuit? Le matin, les arbres étaient des fantômes. Tout le monde, tous ceux qui étaient habitués à l’automne, ne semblaient pas s’en préoccuper. Mais moi j’avais envie de crier, comment pouvez-vous vivre ainsi, avec des arbres sans feuille? Pourquoi personne ne m’avait prévenu? C’était la première fois que je voyais des arbres sans feuille. C’était comme un miroir grandeur nature et ce n’était pas le moment. Moi aussi j’étais sans feuilles et sans sève. Qu’est-ce qui pouvait désormais retarder l’hiver?

Tous les parcs avec des fantômes d’arbres étaient désormais sans vie. Mon intérieur était pareil, leur défaite ressemblait bien trop à la mienne. Je crus palper mon coeur, et ressentis rien d’autre que des tiges sans feuille, sans sève. Rien. Une forêt morte. Le vent avait soufflé, et mes feuilles étaient toutes tombées. Eus-je hurlé? Non. Eus-je pleuré? Non plus.Tout avait déjà été fait. Il ne restait plus que le silence d’un arbre déchiré par le froid et la haine.

“ Les pauvres enfants. Ils vont avoir froid l’hiver”.

Avais-je entendu en débarquant en Belgique. Mais, qu’y a-t-il de plus froid qu’un génocide? Quelle nuit est plus longue qu’un genocide? Qu’y a-t-il de plus cruel? L’hiver au moins vous prévient. Par la beauté de l’automne. Les feuilles jaunissent délicatement, puis le froid s’installe doucement. Le génocide prévient, mais on n’y croit pas. Ils ont dit “Nous allons vous exterminer. Un par un” Nous ne croyions pas qu’il pouvaient avoir tant de cruauté.

Puis un jour, ils l’ont fait.

L’hiver est supportable.  Parce qu’on met un manteau. Parce qu’on joue dans la neige. Parce qu’on boit quelque chose qui réchauffe. Parce que le printemps reviendra. Mais qu’est ce qui revient après un génocide?  Je vous aurais juré rien par moments. Par d’autres, j’aurais seulement ignoré la question. Je vous aurais même giflé, certains jours. Pas trop nombreux mais il y en a. D’autres jours encore je vous aurais ri au nez. Un de ces rires gênants qui vous aurait dit que vous vous fichiez de moi. Mais tout cela, je l’aurais fait avant le jour de la traversée. Avant que je ne me rende compte compte qu’avant la défaite, quelques graines étaient tombées. Elle s’étaient glissées sous les feuilles et avaient l’intention de repousser de l’autre côté de ma douleur. Il ne fallut plus qu’à traverser. Y avait qu’à, y avait qu’à, comme si c’était facile. Mais, j’ai traversé. Je me suis noyée, beaucoup de fois. Des fois je ne sais pas ce qui me faisait revenir à la surface. La nage? Ou cette envie d’y croire? Je suis revenue à la surface plusieurs fois, j’ai décidé de ne pas réessayer tant de fois. Contre toute attente, je me mettais de nouveau à nager pour aller à l’autre rive. J’y suis arrivée. Je ne suis pas encore bien accrochée, je ne sais peut-être pas nager, mais je vais plus me noyer.  Parce que je l’ai décidé. Et c’est ça la survie.

 

 

Zaha Boo

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