Chère Moi,
Tu as raison. Je te déteste. Et pas qu’un peu. Beaucoup. Je ne peux pas faire semblant de t’apprécier, je suis navrée. C’est triste à dire n’est-ce pas ? Tu devrais être la première personne que je supporte, que j’encourage, mais je ne t’aime pas, voilà. Je sais que ce n’est pas très joli, mais j’ai une excuse toute faite pour cela. Personne ne m’a jamais appris ou même dit que je devais t’aimer. Cela coulait de soi que je t’aime en premier. Mais quelque chose n’a pas bien fonctionné, et le j’ai fini par ne pas te supporter. Je pense que c’est venu petit à petit. J’ai commencé par te blâmer pour toutes tes erreurs et tes échecs. Matin, midi et soir. Aujourd’hui je me rends compte que tu ne fais plus rien, à cause de moi. A force de te mettre la pression, d’exiger que tu réussisses tout du premier coup, je pense que j’ai fini par te castrer. Je sais que tu es une femme. C’est juste une façon de parler, oh. Pour que tu te sentes mieux, je sais qu’il faudra que je t’encourage à réessayer. C’est pas évident car tu m’énerves. Tu as l’art de foirer plein de choses. Okay j’arrête de te faire des tas de reproches.
Je ne m’excuse pas d’avoir commencé la lettre sans forme de politesse. Sans te saluer, ni te demander comment tu me portes. Porter en toi un être qui te détestes, ça doit être lourd. Je ne veux pas te demander comment ça va. Je sais comment tu vas. Et tu ne vas pas. Tu es à l’arrêt et tu t’éparpilles. Le plus désespérant, c’est que tu aimes ça.
Parlons un peu de ton travail. Y en a pas. De tes projets, y en a pas. De ta spiritualité, y en a pas. Voilà, tu ne diras pas que je n’ai pas essayé de m’intéresser à toi. Parlons donc des deux hommes qui occupent ta tête à temps plein.
Issa est un homme bien. On en a déjà parlé, oui, mais écoute moi. Issa est un homme bien. Mais comme tu savais qu’avec lui ce serait du solide, tu l’as embrassé la première. Pourtant, tu sais très bien que les hommes rwandais n’aiment pas ça. Ils n’aiment pas que tu fasses le premier pas. Okay, peut-être qu’ils aiment ça mais pas aussi direct, tout réside dans la subtilité. Il faut les emmener à faire le premier pas, sans le faire à leur place. Laisse tomber, je suis sûre que tu ne comprends pas ce que je veux dire.
Tu sais, Issa n’est pas malade. Il t’évite car on ne lui a pas appris à gérer des filles comme toi. En fait, sans vouloir te décourager, pour lui, les filles comme toi, si libres, si fortes, si désordonnées, n’existent pas. Comme pour toi, les hommes comme lui, si vrais, si aimants, si innocents (oui, pas comme ton bandit d’Alan…) n’existent pas. Je ne te demanderai donc pas d’essayer de le comprendre, c’est un sujet qui te dépasse, je sais. Retiens juste que dans son monde, ce que tu as fait, est un acte terroriste.
Chère Moi, laissons Issa de côté. Laissons Alan, le deuxième individu encore plus loin. Toutes tes copines perdues, laissons-les aussi de côté. Que reste-t-il ? A part toi ? Et moi, ton toi schizophrénique ? Personne. Alors, écoute-moi bien. Aujourd’hui est le premier jour du reste de ta vie. Super intelligent, n’est-ce pas ? Oui, j’ai trouvé ça toute seule. Et c’est effrayant de te voir continuer à grignoter maladroitement sur ce « reste de ta vie ».
Chère Moi, je commence aussi à t’aimer un peu. C’est vrai quoi, toute notre vie, on nous apprend à ne pas parler seuls, pas nous téléphoner et nous laisser des messages gentils, pas nous écrire des lettres, parce que c’est considéré comme de la folie. Mais j’ai l’impression que si je prends le temps de dialoguer avec toi, peut-être que j’arriverai à te cerner, ou même te pousser à donner le meilleur de toi-même. Alors la normalité, on l’emmerde, car elle a échoué avec nous. On ne rentre pas dans son moule, beaucoup trop carré pour nos belles courbes. Soyons folles, toi et moi. Aimons-nous.
Tu sais, Moi, peut-être qu’au lieu de te mettre la pression, ou de te juger, de parfois croire que tu fais exprès de tout foirer, je pourrais être ta première fan. Ndagufanah, ni wowe kipe mfana*… Te dire que tu es digne de moi. Te faire confiance. Te rassurer. Moi, je commence vraiment à t’aimer, car malgré tout, il y a quelque chose que je n’ai jamais réussi à t’enlever. C’est cette manière de savourer pleinement ta vie. Alors, autant t’aider à bien la vivre…
Chère Moi, demain matin à la première heure, achète-toi un agenda, et on va planifier..Non, non, ne me regarde pas d’un air sceptique, ce n’est pas un piège. On va planifier tout, car rien n’est planifié. Ta vie, tes rêves, tes projets, tes amours abracadabrants ( o-kay j’arrête de tirer…) Je vais poster cette lettre, avant de la recevoir, n’achète pas d’agenda, il faut que tu la lises avant. Le postier n’a qu’à penser ce qu’il pensera, s’il réalise que cette lettre est pour toi et que c’est moi qui la poste. C’est à lui de gérer ses émotions, je ne peux pas aider tout le monde.
Moi, comme tu iras au centre-ville de Kigali pour acheter un agenda, fais aussi quelque chose pour te faire plaisir. Non, pas de shopping, quelque chose de sain et de valorisant. Tu pourrais te balader dans la zone piétonne et prendre de l’air. Tu pourrais dessiner, ou lire quelque part dehors. Peut-être même écrire. M’écrire ? N’aie pas peur de croiser Alan ou Issa. Souris-leur et dis leur que désormais tu as décidé de m’aimer. Ne t’inquiète pas, ils sauront quoi faire de leur vie. Et s’ils ne savent pas, ce ne sont pas tes affaires. Ils n’ont qu’à apprendre à s’aimer.
Chère Moi, nous avons enfin un projet. Aussi minime que soit-il c’en est un. Acheter un agenda. Que c’est beau!
Allez, je t’embrasse.
Schizophréniquement, tienne.
Mwiza.
P.S : Last but not least, n’en veux pas à ta maman, elle a raison. Entonner « Petit papa Noël, quand tu descendras du ciel… » en pleine messe de Noël, c’est de la provocation. Le prêtre t’avait fait confiance. Non jeune fille, ne discute pas. Même un catho désinformé sait que c’est une chanson païenne. Bref, ne boude pas ta maman. J’ai toujours dit que le conseil le plus précieux au monde, quand tu en as toujours une c’est celui-ci : Parle à ta mère.
Zaha Boo
* Je suis ton fan, tu es mon équipe favorite...(En référence au chanteur Rwandais The Ben, dans la chanson Habibi)
Zaha Boo je t’aimeeeeeee
j’adore ta plume.
Ndagufanaaa
uri ikipe mfana.
Fais moi une copie de cette lettre, et postes la moi aussi, elle m’est destinée, je m’achete un agenda demain matin. Promis juré
I’m so sad i didn’t meet u early, but i’m so glad i get to see this. On dirait moi parler A moi. Merci Zaha Boo, t’es une perle