Merci Mère Teresa

Aujourd’hui va se dérouler la messe de canonisation de Mère Teresa. Beaucoup ne le savent pas sans doute, mais après drame de l’ETO, ma maman et mes deux sœurs sommes receuillies par la congrégation des Soeurs de la Charité à Kigali vers la fin du mois d’Avril.

Nous logeons dans une pièce de passage, qui a juste deux petits matelas, et la nuit veilleurs et puéricultrices y passent pour surveiller les enfants. Nous dormons difficilement, et nous avons dû nous séparer de notre frère. Nous ne parlons à personne, nous avons peur d’être reconnues. Très vite, nous sommes surprises de voir que l’orphelinat est anglophone, et que personne n’y parle français. Nous prenons donc l’habitude de parler en français pour des sujets délicats. La journée, nous nous attelons à la tache, mes sœurs et moi travaillons à l’orphelinat, aidons à changer et nourrir les bébés. Ma maman passe la plupart de son temps à la laverie, et lave à la main les nombreux vêtements des orphelins avec d’autres femmes. Personne ne nous l’a demandé mais nous le faisons spontanément. Un jour une puéricultrice nous approche et nous invite à dormir dans leur dortoir. C’est plus discret pour des filles dit-elle. Nous acceptons humblement l’offre, et retrouvons un peu de dignité.

La nuit suivante, la petite chambre dans laquelle nous dormions est endommagée par un obus. Un miracle ?

Nous restons là de longs jours, de longs mois. Nous assistons à beaucoup de choses. Nous avons peur le jour où les réfugiés Tutsi de St Paul sont évacués par le FPR durant la nuit. La nuit est terrible, quelque chose se passe mais quoi? Nous ne savons pas. Plus tard j’apprendrai que ma meilleure amie et sa famille faisaient partie des évacués. Quelques personnes se perdent dans l’évacuation et attérissent à l’orphelinat dont une dame qui est une connaissance à maman.

Des bébés retrouvés sur les corps de leurs mamans arrivent quasi tous les jours avec d’autres enfants trop jeunes. Kigali est devenue une usine à orphelins que les passants ramènent chez les Soeurs de la Charité. Maman reconnaît le bébé d’une amie de famille. Le projet est de l’adopter à la fin de la guerre. Mais la petite ne survit pas à l’épidémie de gastro entérite qui perdure à l’orphelinat. Il n’y a pas de docteur, pas d’infirmière. Nous mangeons du porridge et des haricots. Matin, midi et soir. Enfin, une fois par jour.

De temps en temps, l’orphelinat est attaqué par les miliciens Interahamwe pour quémander de l’essence, ou menacer les soeurs au cas où elle cacheraient des Tutsis. Bien avant notre arrivée, il y a eu une rafle, et les soeurs n’ont rien pu faire. Les miliciens viennent faire la ronde et passent ridiculeusement entre les berceaux des enfants. Ils ont les yeux rouge sang et sentent la haine. Nous avons peur, nous mettons des foulards sur nos cheveux, et faisons semblant de travailler. Après leur départ, nous nous remontons le moral, en rigolant. Tu as vus que j’ai essayé de nourrir le petit alors qu’il venait de manger? Tu as vu que j’ai transpiré de peur ? Bah oui c’est tout ce qui nous reste.

En plus d’un orphelinat, il y a un home de vieux plus bas.

Vers le mois de Juillet, nous sommes fatiguées, et notre santé est au plus mal. Sauf celle de ma sœur Olivia, qui est solide comme un roc, et nous soigne tant bien que mal. Depuis toute petite, elle veut soigner les gens, pourra-t-elle réaliser ses rêves ?

Nous savons que la prise de Kigali approche. La nuit du 3 Juillet, Kigali se vide. Maman prend une décision qui est sans doute la plus grosse décision de toute sa vie. Nous allons partir et tenter de retrouver notre frère. Ce qui suit est une longue histoire.

Cette épisode chez les sœurs de Calcutta continue à marquer mon existence. Elle est une épisode ou tous les sentiments se rejoignent. Nous vivons sans vivre, nous attendons sans attendre. Nous sommes là. Avec de nombreux enfants, des vieillards. Peut-être est-ce notre dernière destination, alors nous ne prenons point le temps de haïr. Papa est dans nos pensées de tous les jours.

Nous sommes sans doute un miracle de Mère Teresa.

Mais le plus beau miracle que j’ai envie de partager avec vous est encore à venir : en Avril 1994, nous avons encore une arrière grand-mère. En fuyant le danger, elle est trop vieille pour marcher, elle se perd donc. Nous la croyons donc décédée pendant plus de six ans. Quelques années plus tard, des amies de famille disent à leur maman qu’elle pensent avoir vu notre arrière grand-mère dans le home des vieux de Sœurs de la Charité. Les mêmes qui nous sont cachés pendant le Génocide. Leur maman, ne les croit pas, mais sous leur insistance, se rend au home de vieux, et se rend compte que c’est bel et bien notre arrière grand-mère, qui a attéri là. Elle est très âgée, les soeurs ont essayé de l’interroger pour retrouver les membres de sa famille, en vain. En 2001, six ans après la fin du génocide, nous sommes bouleversés d’apprendre que notre arrière grand-mère, la grand-mère paternelle de papa est toujours vivante. Bien évidemment quelques jours plus tard, elle retourne auprès des siens et s’éteint paisiblement deux ans plus tard en 2003.

Pour cette vie pleine d’amour, pour les belles rencontres, pour ces miracles sans artifices, merci Mère Teresa et à toute la congrégation des Soeurs de la Charité.

Je termine par un texte de mère Teresa qui est le plus beau message de paix que je connaisse.

Si tu crois que ce qui rassemble les hommes est plus important que ce qui les divise, alors la paix viendra.

Si tu crois qu’être différents est une richesse et non un danger, alors la paix viendra.

Si, pour toi, l’étranger est un frère qui t’est proposé, alors la paix viendra.

Si tu peux te réjouir de la joie de ton voisin, alors la paix viendra.

Si l’injustice qui frappe les autres te révolte autant que celle que tu subis, alors la paix viendra.

Si tu estimes que c’est à toi de faire le premier pas, alors la paix viendra.

Si tu partages ton pain et que tu sais joindre un morceau de ton cœur, alors la paix viendra.

Si tu sais accepter qu’un autre te rende service, alors la paix viendra.

Si la colère est pour toi une faiblesse et non une preuve de force, alors la paix viendra

Si tu acceptes de ne pas rejeter tes maladresses sur le dos des autres, alors la paix viendra.

Si tu crois qu’un pardon va plus loin qu’une vengeance, alors la paix viendra.

Si tu préfères être lésé que de faire du tord à quelqu’un, alors la paix viendra.

Si tu refuses qu’après toi ce soit le déluge, alors la paix viendra.

Si tu te ranges du côté du pauvre et de l’opprimé sans te prendre pour un héros, alors la paix viendra.

Si tu crois que l’amour est la seule force de dissuasion, alors la paix viendra.

Si tu crois que la paix est possible, alors la paix viendra. Mère Térèsa

 

Zaha Boo

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