Episode 9 : Les affaires reprennent

 

C’est si bon d’être chez soi. Réconciliée avec sa meilleure amie et débarrassé d’Alan, Mwiza peut enfin profiter de sa ville natale avec le coeur léger. Kigali…

Bon d’accord, elle ne s’est pas débarrassé d’Alan. Il l’a lâchement ignorée au mariage d’Adam, mais ce qui est sûr, c’est qu’il n’est pas là. Et pour le moral de tous, on va considérer qu’elle s’en est débarrassé.

Mwiza prend du temps pour ceux qu’elle aime. Demain, elle doit se réveiller très tôt pour assister à la séance de Kiné de la tante malade qui vit chez elle. Elle lui a promis de rester à ses côtés lors des exercices. N’est-ce pas gentil de sa part ?

*

Six heures du matin et toc toc toc! C’est probablement le Kiné qui toque à la porte. Doux Jésus qu’ils se lèvent tôt les gens de Kigali !  Pourquoi faire cette séance si tôt ? Mwiza part ouvrir la porte du salon, et derrière les grillages, elle aperçoit un beau jeune homme.

C’était prévu ça ? Oui la séance oui, mais que le Kiné soit jeune et beau ?  Non. Ce n’est pas possible. Ça doit être un homme perdu. Pléonasme. 🙂

Deux tours de clé et en ouvrant la porte elle est envahie par un parfum à la fois doux et masculin.

Take meeee, take meeee. On se calme, Mwiza.

Il se présente, c’est la moindre des choses, et il s’appelle Issa. Il n’est pas perdu, c’est bien lui le kiné de la tante. Okay, dans ce cas, elle a aussi mal au dos, aux bras, aux jambes… partout !

Mince. C’est son tour de se présenter. Comment s’appelle-elle déjà ? Alouette ? Mwiza ! Enchantée !

Bon allez je le laisse entrer même si je ne sais pas s’il va pouvoir sortir d’ici un jour. Bon sang un kiné aussi beau, mais il sort d’où celui-là? It’s raining men alleluia…Les affaires reprennent! Qu’on ne m’accuse de rien. Pour une fois je ne suis allée nulle part, je n’ai vu ni appelé personne. Et voilà que tout vienne à moi. C’est pas de ma faute. Je-prends!

Bien entendu Issa passe au test des dix checks :

  1. Cheveux coupés : check
  2. Visage rasé : check
  3. Pantalon repassé : check
  4. Chemise sans trace au col : check
  5. Chaussettes fines : check (Les grosses chaussettes blanches de sport dans des chaussures de ville arrêtent le test au niveau cinq)
  6. Pas de vieux baskets : check, on n’est pas à l’école primaire.
  7. Peau hydratée : check
  8. Pas de bague de mariage : check même si cela ne veut rien dire.
  9. De belles mains : check (Hydratées svp. Merci.)
  10. ….. (hum, on ne va pas tout révéler non plus)Check!

Voilà, il est potable, il est chic et il est beau. Il y a aussi beaucoup de chances qu’il soit pris. Un homme aussi parfait ne peut pas se balader dans une ville comme Kigali sans se faire engloutir par ses jeunes filles. Misère!

Est-ce qu’elle a déjà signalé qu’il est beau ? Reprochez-lui de se répéter et elle vous dira que c’est la beauté d’Issa qui est répétitive…Mais oui quoi, depuis qu’il a sonné à la porte, il n’a rien fait d’autre, à part être constamment beau.

*

Inutile de raconter que les jours suivants, Mwiza se lève à six heures du matin, sans broncher, prépare le petit déjeuner pour Issa et tente de s’insérer en vain dans la séance d’abdominaux de sa tante.

Rien à faire, Issa reste professionnel, et ne lui prête aucune attention.

Elle qui avait été habituée à ce que tous lui tombent sur les pieds…

De quelle planète vient Issa ? Il semble si paisible, et ne lève jamais un œil de travers pour observer Mwiza. A plusieurs reprises, paniquée, Mwiza fait des tests avec les voisins pour vérifier qu’elle n’est pas devenue invisible sans le savoir. Comme par exemple passer devant eux en sautillant. Et à chaque fois, ils éclatent de rire. Donc ils la voient. Mais pas Issa. Serait-il aveugle ? Mystère.

Les jours passent et Mwiza continue à préparer du thé pour Issa. Histoire de soigner ses yeux, hein. Tu dois avoir soif, tu n’as sûrement pas eu le temps de prendre le petit déjeuner avant de venir. Allez, bois ça. Il  sourit et dit merci, avec courtoisie. Sans plus.

Ooooh qu’il est nul ! Méfiez-vous quand les filles vous trouvent nuls…

*

Mwiza célèbre la vingtième tasse de thé préparée pour Issa. Dur dur les réveils à six heures du matin. L’investissement doit vraiment commencer à rapporter.

Il va falloir faire quelque chose.

Bosco, le chauffeur de famille est le seul qui est dans dans le champ de vision de Mwiza quand elle élabore son plan B. Ce sera donc lui l’acteur et elle ne tarde pas à l’aborder.

  • Bosco, est-ce que tu peux attraper la malaria demain ? Deux jours s’il te plait. J’ai des trucs à arranger et faut pas que tu les vois. Je m’arrangerai avec maman.
  • Mwiza, pour toi, je ne mentirais même pas pour un bouton ! La malaria ne se guérit pas en deux jours! Moi je dois travailler pour gagner ma vie. Qu’est-ce que tu manigances encore ?
  • Ben, je voudrais présenter Issa à une amie et pour cela j’ai besoin de conduire la voiture et le déposer chez lui demain.
  • Ah non, jeune fille. Ici ça ne marche pas comme ça. Tu lui demandes d’abord s’il est d’accord.
  • C’est une surprise !
  • Une surprise ? Est-ce qu’il t’a dit qu’il avait besoin de quelqu’un ? Tu vas le distraire, avec tes copines impossibles. Le pauvre, vous allez lui faire perdre la tête.
  • Bon, Bosco, merci, j’ai compris que tu ne m’aideras pas. C’est noté, je m’en vais. Mwiza s’éloigne avec un petit air d’enfant gâtée à qui on a refusé un bonbon. Le pire c’est que sa comédie arrive à attendrir Bosco.
  • Mwiza, reviens. Réplique Bosco, ému. Mwiza ne se fait pas prier pour faire demi-tour.
  • Je sais qu’il te plaît. Mwiza, surprise, essaie de le nier mais Bosco enchaine aussitôt.
  • Sais-tu qu’il a essayé de te rencontrer lors de ton précédent séjour?  Mais tu dormais toujours la journée car tu rentrais quasi tous les jours à cinq heures du matin. Parfois il temporisait lors des séances avec ta tante et attendait jusque 11 heures. Il était déçu. Je suis d’ailleurs sûr que si tu n’étais pas ici, il enverrait une collègue qui habite plus près. En même temps tu as peut-être raté ta chance. Tu pourrais lui montrer que tu es une rwandaise comme il faut, te lever tôt, balayer la cour ici, cuisiner… Une fille dotable quoi. Umukobwa*. Au lieu de tout cela tu pendouilles au portail à six heures du matin quand il arrive. Bien maquillée, bien parfumée, avec une tasse de thé toute prête pour lui. Il est intimidé. Cache-toi de nouveau sinon il croira que tu es facile.
  • Merci Bosco. T’es un peu matcho sur les bords mais je t’aime bien quand même. Si vraiment Issa ne vient pas vers moi parce que j’en fais trop, alors il va danser dès demain matin! Hum! Mwiza s’éloigne énervée…
  • Mwiza, c’était juste un conseil, ne le torture pas non plus, mais reviens..

En vain. Mwiza ne se retourne pas.

*

Où est Mwiza ?

Plus de Mwiza le matin. Plus de thé, plus de pain, plus rien. Issa n’entend plus que sa voix dans le couloir. Pour ce qui est du reste, elle dort ou lit dans sa chambre.

Balayer ? Mwiza ? Excellente comme blague.

 

*

Au bout de cinq jours, le téléphone de la maison sonne.

Le père de Mwiza le lui tend avec un regard qui l’accuse d’un crime dont elle n’a pas l’idée.

Sans doute parce que tout ce qu’elle touche devient une catastrophe.

  • C’est Issa, lui lance-t-il, froidement.

Mais je n’ai rien fait, c’est lui qui m’appelle. Pense-t-elle tout bas. Vraiment rien fait, Mwiza?

Bonjour la discrétion Issa. Il n’est même pas fichu de s’arranger pour avoir le numéro de mon portable ?

  • Allo ? Dit-elle timidement, en s’éloignant vers sa chambre.
  • Bonjour Mwiza, comment vas-tu ? Demande Issa avec une voix tremblante.

Au fond d’elle, hum, elle a envie de rire. Mais elle reste calme.

Elle n’a pas le temps de lui répondre que son portable se met également à sonner. Une sonnerie spéciale pour annoncer un être exceptionnel. Elle ne l’a jamais changée…elle aurait dû.

My love, there’s only you in my life, the only thing that’s right….

Vous demandez qui c’est ? Hum…C’est Alan.

Oh Alan, tu tombes toujours à pic.

Avec qui parlait-elle déjà ? De quoi ? Quand, comment ?

Oh Alan. Que lui veux-tu encore ?

Mwiza tremble. Prendre la ligne d’Alan, ou continuer la conversation avec le beau kiné plein de promesses ? Il s’appelle comment déjà ?

Okay, okay, Issa lui plaît, mais Alan c’est Alan.

Il est comme ce temps passé dont elle se languit à longueur de journée

Il est comme ce futur qui tarde à l’engloutir

Il est comme  l’insaisissable instant…présent.

Alan, c’est Alan.

Rien à faire, rien à dire.

 

Alors Mwiza, que fais-tu ma belle ? Attraper l’insaisissable ou donner une chance à l’accessible ?

Chut!

Tu as entendu?

Le passé t’appelle!

 Vas-tu lui répondre?

Ou tourner la page?

Vas-tu l’affronter,

Une fois pour toutes?

Ou le laisser être

Ce qu’il veut, sans toi.

Vas-tu lui dire

Que tu as encore mal

Ou le remercier pour la leçon apprise?

Vas-tu le bercer et tenter de l’embellir

Ou lui montrer les mille morceaux de ton coeur?

Le passé t’appelle,

Mais réponds!

Vas-tu être libre de lui sourire

En continuant ton chemin,

Ou lâche de t’y accrocher 

En le confondant avec ton avenir?

Le passé t’appelle.

A vrai dire, il te harcèle….

Mwiza. Les affaires reprennent.

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*Umukobwa veut dire fille en kinyarwanda. Littérairement, cela signifie un être qu’on peut doter.

 

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