Le Secret de Teta Diana

La musique dans la peau, une voix à couper le souffle, le regard précis, quand elle chante, vous n’avez qu’une seule envie : qu’elle ne s’arrête pas. Teta Diana est une chanteuse rwandaise née en 1992 au Kenya et résidant au Rwanda. Son style et ses chansons incarnent l’une des meilleures connections de la jeunesse rwandaise avec sa propre culture. Teta est l’une des rares chanteuses qui lorsque vous la voyez chanter en direct, vous ne pouvez faire qu’une seule constatation : elle est encore mieux en live. Actuellement elle prépare la sortie de son premier album , dont le single “Birangwa” annonce déjà un début très prometteur.

L’une des plus belles chansons de Teta, qui pour moi  reflète la Culture de Paix, est sa chanson “Ndaje”, qui relate d’une manière poétique le passé douloureux du Rwanda,  et qui se veut avant tout une chanson d’unité et d’espoir. Dans les lignes suivantes, vous y trouverez ma traduction philosophique de cette chanson.

teta-1-2Beaucoup de chansons prennent trop de temps et trop de mots avant de venir à l’essentiel. Teta donne le ton dès la première minute de la chanson. Teta fait un appel, et demande une réunion de famille. Elle continue en disant, les enfants de Kanyarwanda* formons une unité, et nous implore de cesser de nous chamailler.

Teta 2.pngChuut ! Minute. Teta demande un instant. C’est comme elle allait être interrompue, alors qu’elle veut unir. Teta pose un merveilleux contexte lorsqu’elle dit : «  Faites abstraction de mon jeune âge, la grandeur réside dans ce que j’ai à vous dire » Nous avons là une artiste qui assume sa jeunesse sans vouloir changer un ordre établi de la place des jeunes et des grands. Elle demande une exception, non une réforme.

Teta 3.pngAussitôt la permission demandé, aussitôt Teta considère qu’elle lui est accordée. Et c’est donc sur un ton annonciateur que nous entrons dans le refrain. Et c’est du merveilleusement lourd. Nous devons gérer  un mélange de fierté, de fête, de douceur et de consolation. Il y a comme une cohabitation à la fois harmonieuse et contradictoire de la Joie et la Tristesse.

La Survie dans toute sa splendeur, émerge des mots. Rendez-vous bien compte : dans le refrain, Teta commence par consoler son pays. Hora Rwanda. Puis les parents. Hora Mbyeyi. Puis les orphelins. Hora Mfubyi. Elle annonce d’une façon solennelle qu’elle amène l’amour et l’unité.

Igihe niki nanjye ntange impanuro….La dernière phrase est un peu déroutante. Elle dit qu’il est temps qu’elle aussi parle. Souvenons-nous : au départ, elle avait demandé qu’on fasse abstraction à sa jeunesse. Et là elle change de veste. Il était temps qu’elle parle. La jeunesse demande également à s’exprimer et à être écoutée. Elle nous a bien eus. Bravo, l’artiste.

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La tristesse arrive, quand Teta évoque le passé douloureux du Rwanda. Malgré les horribles souvenirs qui remontent en moi avec ce refrain, la profondeur de la mélodie et le merveilleux jeu de mots de ce texte me rend ivre d’espérance. Elle dit que nous étions Trois et unis-évoquant sans doute les trois ethnies du Rwanda-et partagions le Sein et le Secret. Nous avions un seul héritage, et cela nous suffisait amplement.

Lorsque Teta chante que nous partagions le Sein, que je ne puis écrire sans majuscule,  je réalise une constatation que j’ai déjà faite depuis longtemps.  Le Rwanda est souvent évoqué comme une matrie dans la philosophie rwandaise. Ce pays-mère qui nourrit les siens par son Sein. Gihugu cyatubyaye, Gihugu cyaduhetse, turi abavandimwe**. Notre nature profonde serait-elle matriote ?

Nous étions trois à partager le Sein et le Secret, puis il y a eu un quatrième qui nous a embrouillé nous dit-elle. Parle-t-elle de la haine, de la discorde, de la colonisation ? Toujours est-il que cette intrusion nous a eus par la ruse et que nous avons brisé  quelque chose de sacré qu’elle nomme le Secret. Quel était donc ce Secret de notre Unité ? Sinon celui de nous accepter et de nous regarder en tant qu’êtres humains ?

Méditons un peu sur le Secret. Avez-vous remarqué que chaque merveille contient toujours un Secret ? Quel est le Secret de chacun d’entre nous ? A une amie qui prêche la bonté malgré un passé lourd, on demande  le secret de sa Survie Spirituelle. Un collègue toujours souriant détient le mystérieux secret de la bonne humeur. Le couple uni est soupçonné de détenir le secret d’un mariage réussi. Il semble donc que dans chaque chose bien faite réside quelque chose que la logique et le rationnel ne pourraient expliquer. Un mystère qui n’est pas à la porté de tous…serait-ce cette fameuse Culture de Paix ?

Tiens, je réalise que je ne vous ai toujours pas livré la traduction du titre de la chanson de Teta, “Ndaje”. Littérairement, cela voudrait dire, ” Je viens” ou encore ” J’arrive”. Mais la meilleure traduction que j’ai trouvée, c’est “Me voilà.” Oui c’est exact. “Me voilà qui vous apporte l’amour et l’unité. Me voilà, moi qui suis si jeune, mais qui ai quelque chose de grandiose à vous livrer”

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Dernier couplet. Teta invoque son père. On réalise davantage que ce qu’elle fait est encore plus précieux. Elle partage avec nous son héritage. En chantant ce couplet, la voix de Teta confirme que ce n’est pas un rôle qu’elle se donne. Dans la vraie vie, elle a perdu son père à 14 ans. Son père lui disait entre autre,que si notre pays ne nous refuse rien, pourquoi sommes-nous aussi avides. Dans sa narration, il y a une forme de continuité qui nous informe sur le fait que son père lui a partagé ce questionnement plus d’une fois. Une belle manière de nous faire comprendre le précieux rôle des parents dans la transmission du questions d’ordre philosophique à leurs enfants.  Un proverbe rwandais dit “Utaganiriye na se, ntamenya icyo sekuru yasize avuze” (Celui qui ne discute pas avec son père, ne peut pas savoir ce que son grand-père a dit). Qui a dit que les “africains” n’avaient pas de philosophie propre ?

Avant de conclure, Teta demande une ultime permission de parler. Une sorte d’humilité qui revient comme au début. On dirait qu’elle fait danser sa musique. Oui, car la danse Rwandaise n’est rien d’autre qu’une alternance de fierté et d’humilité. Imprégnés de sa poésie, nous ne pouvons que dire Fais Teta, tant qu’on y est. Teta nous dit alors que ce qui nous unit est plus fort que ce qui nous sépare. Cette phrase mérite d’être répetée 3 fois par jour, matin, midi et soir, comme un vrai remède pour l’âme. Avant ou après les repas, pas d’importance. Icyo dupfana kiruta icyo dupfa.

Pour clôturer, la chanteuse nous met en garde. Elle nous dit que si tu fais le bien, il te reviendra, et si tu fais le mal tu auras des problèmes. Le Karma à l’état pur. Je réalise avec émerveillement que celle qui s’excusait de sa jeunesse devient notre ainée puisque tout au long de la chanson, prend des affirmations de plus en plus matures, avec une émotion parfaitement en accord avec la mélodie de la chanson. Elle me fait justement penser à un autre proverbe Rwandais, qui affirme qu’un jour, “Igi ryahannye inyoni bitangana” (L’oeuf a sermonné l’oiseau alors qu’ils n’avaient pas le même âge).

Paradoxalement, celle qui chante « Ndaje » finit par partir sans prévenir.Tout s’arrête d’un coup, et nous voilà seuls avec nous mêmes, dans une solitude philosophique la plus totale. Celle qui ne demandait qu’un instant nous laisse une éternité de beauté et d’enthousiasme…

Je suis fan de Teta Diana, parce que ses textes ont la capacité de creuser au plus profond de mon cœur et y déterrer des diamants d’espoir. Sa musique rappelle incontestablement que la beauté du Rwanda, mon pays natal, n’est pas seulement celle de ses collines, vallées, parcs, mais également, celle d’un peuple dont la tradition culturelle et philosophique jongle inlassablement avec la poésie.

Quel est le Secret d’un tel talent?

Zaha Boo

 

Chanson Ndaje à écouter sur Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=-KubyyzBhmY

Site officiel de Teta Diana : http://www.tetadiana.com

*Enfants de Kanyarwanda : les Rwandais

**Pays qui nous a mis au monde, pays qui nous a porté sur son dos, nous sommes des frères ( littérairement : nous venons du meme ventre)

Un merci spécial à Teta Diana

Facebook : https://www.facebook.com/marieyolanda.ujeneza

Twitter : @Zaha_Boo

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2 Comments

  1. Merci ,Murakoze,Thank you

    Ntabwo mbona ibyo kongeraho mais ni ubona akanya uzandike ndabona abashaka kwiga cg gusobanukirwa byakwinjira.

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